Office de la Croix – Vendredi Saint 2023

La souffrance et la mort ne faisant pas partie du dessein bienveillant de Dieu, de sa Création, elles n’ont pas de sens en soi. On ne peut les comprendre que comme l’absence de quelque chose : comme la ténèbres est l’absence de lumière, la mort est l’absence de vie, la souffrance est l’absence de biens essentiels.

Alors que faire de ce récit de la Passion dans lequel même Dieu souffre et meurt ? Il embrasse notre condition, et subit comme nous, la carence de sa présence. Dur de comprendre une telle contradiction, une telle folie, une telle aberration, un tel non-sens !

Justement, en plongeant dans ce non-sens, Dieu vient lui redonner un sens, une destinée. C’est ce qu’on peut comprendre de la prophétie d’Isaïe : « S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. » Avec le Christ, la croix devient féconde. Elle est le triomphe de Dieu sur cette injustice. C’est le sens de la réparation. Il ne s’agit pas de souffrir beaucoup pour réparer beaucoup, pour beaucoup plaire à Dieu… Il s’agit d’associer nos souffrances à celles du Christ dans sa Passion ; là où lui, par sa présence, a remis de l’ordre et du sens dans le néant.

On a un peu de mal avec ce mot « réparation » aujourd’hui parce qu’il a été le fer de lance du jansénisme et de ses déviances hérétiques assimilées. Mais la réparation, c’est justement ce qui nous permet la guérison que Dieu veut offrir. Pour redonner du sens à la mort, il y a le baptême qui nous associe à la mort et à la Résurrection de Jésus ; et pour redonner du sens à la souffrance, il y a la réparation qui associe nos douleurs à celle de Jésus. Ce qui plaît au Seigneur, c’est de donner sa grâce dans nos souffrances, pas de nous voir endoloris. C’est la suite logique qu’on a entendu dans la lettre aux Hébreux : « Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. »

La plus grande souffrance que je vois quand on m’appelle pour tenter d’apporter quelque secours, c’est surtout la précarité sociale et le vide spirituel. C’est la relation aux autres et la relation à Dieu qui sont abîmées, voire inexistantes ! Il est là le plus grand drame des conséquences du péché.

Ce soir, donc, en vénérant le bois de la Croix, déposons-lui en sacrifice de réparation nos souffrances et celles de nos proches, déposons-lui les souffrances du monde entier, déposons-lui nos défunts. Par la Croix, Dieu veut répandre sa grâce, il veut habiter ce qui est vide de sens, ce qui est vide de sa présence.

Ce soir, Dieu donne sa miséricorde, il fait couler les flots de sa grâce. Entrons dans ce Mystère silencieux d’un Dieu si proche de nous qu’il souffre avec nous.

Amen.